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Femme, Arabe et… Cinéaste de Heiny Srour

Femme, Arabe et… Cinéaste de Heiny Srour

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1976. Un texte féministe de libération.

De son parcours de militante et son vécu de cinéaste, Heiny Srour révèle les maux, les combats et les doutes qui l’assaillent lors de la réalisation de son premier long métrage sur l’engagement révolutionnaire des femmes, L’heure de la libération a sonné.

Avec humour, révolte et puissance, elle met au jour la violence des réactions provoquées par le film. Ses camarades militants lui reprochent de laisser trop de place au féminisme et pas assez aux luttes. Les féministes françaises lui reprochent d’avoir un regard « trop masculin » car son film montrerait trop d’armes. Et quand un cinéaste latino-américain salue son travail… c’est en lui disant qu’elle a « des couilles ».

En déployant une réflexion accessible et essentielle sur les systèmes de domination que constituent le patriarcat et le colonialisme, la cinéaste libanaise Heiny Srour affirme la nécessité d’articuler les combats. Ce texte-manifeste bouscule et participe à outiller nos mouvements militants contemporains.


L’autrice :

Heiny Srour est une réalisatrice libanaise née en 1945 à Beyrouth. Après des études de sciences humaines au Liban et en France, elle s’engage pour la libération des peuples, les décolonisations et l’émancipation des femmes. En tant que cinéaste militante, elle réalise deux longs métrages : L’heure de la libération a sonné (1974), le récit d’une lutte armée au Sultanat d’Oman sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes en 1974, et Leïla et les loups (1984), une fiction qui retrace 80 ans d’histoire silenciée de la Palestine et du Liban, pour en réfuter toute version coloniale et masculine. Elle signe également les documentaires The Singing Sheikh (1991) sur le chanteur contestataire égyptien Cheikh Imam, Les Yeux du coeur (1994), Rising above : women of Vietnam (1996) et La Grève mondiale des femmes 2000 (2000).

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Jean Michel Humeau, photos de Heiny Srour sur le tournage de L’Heure de la libération a sonné, en 1971.

 

À propos du livre 

 

Y a-t-il un cinéaste arabe qui ait provoqué une explosion de colère méprisante pour avoir affirmé devant des militants marxistes – ne riez pas – son désir d’être cinéaste un jour ? Y  a-t-il un cinéaste arabe qui ait été obligé de cacher à sa famille qu’il voulait réaliser des films ?


Y a-t-il un cinéaste arabe qui se soit vu traiter de fou par X nombre de producteurs pour avoir osé proposer d’aller filmer une guérilla ?”

 

La force du texte tient au fait que l’autrice arrive à restituer les effets que les attaques répétées ont sur elle. En faisant surgir ce « je », elle ose aller complètement à contre-courant des grands discours de libération de l’époque où triomphent avant tout le « nous ». Évoquant son expérience personnelle, son vécu résonne avec de nombreux destins de femmes empêchées dans leur expression artistique.

 

Son texte fait écho encore aujourd’hui. Il a été remarqué à travers les ans par un certain nombre de lectrices surtout, pour qui il a représenté une révélation féministe et qui ont eu à cœur de le partager. C’est ainsi qu’il se serait retrouvé aux épreuves de français du bac en Tunisie ; ou que des jeunes féministes arabes en font des lectures, les larmes aux yeux. Signe que les choses n’ont pas tout à fait changé pour les réalisatrices et créatrices, au grand désespoir de Heiny Srour elle-même : elle aurait préféré que les jeunes femmes d’aujourd’hui vivent une réalité différente de la sienne, quitte à faire de son texte une archive datée !

 

Heiny Srour, écrit et fait des films à partir d’une société colonisée, et lie émancipation de la femme et libération politique. C’est là où résident toute la force et la singularité de son propos.

 

 

Femme, Arabe et cinéaste

EXTRAIT 1

 

Femme, Arabe et…Cinéaste. Situation viable ? Alors questions :

            Y a-t-il un cinéaste arabe qui ait provoqué une explosion de colère méprisante pour avoir affirmé devant des militants marxistes – ne riez pas – son désir d’être cinéaste un jour ?

            Y a-t-il un cinéaste arabe qui ait été obligé de cacher à sa famille qu’il voulait réaliser des films ?

            Y a-t-il un cinéaste arabe qui se soit vu traiter de fou par X nombre de producteurs pour avoir osé proposer d’aller filmer une guérilla ?

            Y a-t-il un cinéaste arabe qui se soit entendu répéter dès le berceau qu’il n’était pas, par essence même, un être « créateur » ? Inspirer les œuvres des autres d’accord ! Écrire des romans traitant de sujets « féminins » est à la limite permis (à contrecœur du reste).  Mais prendre la caméra pour parler de dignité humaine (surtout si on insiste sur la libération de la femme), de dignité nationale ? Ah ça non Madame ! C’est l’affaire des hommes.

            Voilà quelques échantillons de réactions.

            Un poète égyptien « marxiste » : « Quelle fille bizarre ! Ce n’est ni un homme ni une femme. »

            Un jeune algérien : « Ce n’est pas possible qu’elle ait pu faire ce film. Une femme ne peut pas faire des films, surtout pas des films politiques » (ton tranquillement incrédule).

            Un diplomate yéménite : « Ah ! C’est vous l’auteur du film ? Je vous croyais âgée de 45 ans » (avec un geste pour dire grosse et une grimace pour dire laide).

            Un cinéaste irakien (dégoûté) : « Cette séquence sur les enfants est bien trop longue » (avec un hochement de tête pour dire : quand une femme se mêle de politique voilà ce que ça donne).

            Une militante de psyché-po : « C’est un film d’homme, c’est plein de fusils. » Sa camarade renchérissant : « Ce n’est pas par hasard que nous parlons nous, de « libération », alors que les femmes du tiers-monde parlent elles, d’émancipation. »

            Je fais timidement remarquer que nous disons toujours « taharor » (libération) et jamais « intilâq » (émancipation). En vain. Je suis une féministe sous-développée !

            Un Mao français : « Sans ce côté M.L.F. (Mouvement de Libération des Femmes) le film était politiquement impeccable ! » Sous-développée encore !

            Un cinéaste latino-américain marxiste léniniste (enthousiaste) : « Voilà un film fait avec des couilles ! »

            Et moi : « Non, avec un utérus ! C’est très créateur les utérus, ça engendre la vie. »

            Un nombre X de militants arabes : « Tu as trop insisté sur la libération de la femme. L’ennemi c’est l’impérialisme, pas l’homme. »

            Un journaliste libanais : « Êtes-vous une vraie femme… Je veux dire une femme normale ? Avez-vous jamais aimé un homme par exemple ? »

            Un cinéaste marocain : « C’est politiquement le film le plus « dur » du cinéma arabe. Comment a-t-il pu venir d’une femme et pas d’un homme ? »

            Les pires furent parfois ceux dont j’étais politiquement proche dans les milieux du cinéma arabe. Témoin de leur animosité un ami me dit : « Tu as tout fait pour les mettre contre toi : Tu as fait un film politique alors que c’est leur chasse gardée, en plus tu es jeune, et tu n’es ni borgne ni bossue. Tu ne leur laisses rien pour se consoler ? »

            En somme, c’est bien fait pour la méchante agresseuse.

            Assez joué à la victime, me dira-t-on. Ce film a été bien accueilli par la critique européenne et encore mieux par la critique et le public arabes.

            J’en conviens mais je note aussi qu’on a voulu y voir surtout le côté anti-impérialiste. Dans le monde arabe en particulier, on a refusé de s’attarder sur les côtés « subversifs » : décolonisation de la femme et décolonisation de l’enfant.

            De toute façon, ce n’est pas la première fois que l’énergie des femmes est acceptée dans des moments où toute la société est en danger. Quand il s’agit de sauver la maison qui brûle, les sociétés les plus conservatrices et les plus misogynes permettront à certaines femmes de dépasser les limites de leur rôle traditionnel. Les femmes deviennent souvent des symboles-compensateurs de la réalité quotidienne des femmes. Elles ne changent pas nécessairement la condition des autres femmes qui sont renvoyées à leurs voiles ou leurs casseroles, une fois le danger passé. Bien souvent, en fait, le plus souvent, le statu quo est rétabli après la violente secousse où pourtant toutes les valeurs de la société auront été remises en question.

            Je vous l’avais bien dit, jubileront certains. Elle veut faire de la diversion à la cause anti-impérialiste. Elle veut convaincre les femmes de ne pas participer à la lutte puisque de toute façon elles n’en auront rien !

            Ne mélangeons pas tout, et précisons que, si la participation des femmes à la lutte anti-impérialiste est une condition nécessaire, elle n’est cependant pas suffisante, à leur libération.

 

Extrait en arabe


EXTRAIT 2


Revoyant mon histoire personnelle, je réalise aussi que mes déceptions politiques successives ont joué un rôle fondamental dans mon choix du cinéma comme moyen d’expression. J’aurais pu, en effet, choisir la peinture ou le ballet, mes deux grands amours d’antan. Amours restés sans lendemain, vu le mépris manifesté par mon milieu bourgeois pour ce genre de choses menant à « être une danseuse de cabaret », tout comme le cinéma d’ailleurs, dans l’esprit de mes parents. Certes, le cinéma était le moyen d’expression le plus complet mais je crois surtout le plus politique.

Après la répression de mes revendications féministes pendant de longues années de travail politique, le cinéma était le seul moyen à ma disposition pour crier ce que je voulais dire, sans attendre que les états-majors politiques le trouvent opportun ou non.

Quel bonheur de décider librement du sujet d’un film – une révolution féministe – sans que quelqu’un vienne vous rappeler « le maillon principal ».

Quelle joie de décider toute seule à la table de montage de la longueur de la séquence des femmes sans que quelqu’un vienne vous dire « camarade ce problème n’est pas à l’ordre du jour.

 

Livres

FEMME, ARABE ET… CINEASTE De Heiny Srour

Coédition Éditions Motifs (Alger), Archives Bouanani (Rabat) et Talitha (Rennes)

Collection INTILAK

120p. 2 illustrations – 12 X 21 cm

Édition trilingue français, anglais et arabe

Graphisme : Studio Chimbo

Traduction : Djamila Haidar, Sis Matthé et Melissa Thackway

Prix de vente :  12e – 900 DA – 100 dhs 

ISBN – 9782958731434

Distribution/Diffusion (France-Belgique-Suisse) : Paon Diffusion / Serendip

Maroc : lesarchivesbouanani@gmail.com 

Algérie : contact@editionsmotifs.com

Informations autres pays : talitha.contact@gmail.com

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