
Pour continuer cette plongée dans l’œuvre de Ahmed Bouanani à travers “La Septième porte”, nous avons eu le plaisir d’inviter le documentariste Ali Essafi pour présenter son film d’archives et portrait de Ahmed Bouanani, intitulé “En quête de la Septième porte”.
Cette projection s’inscrit dans le cadre de l’exposition « Tous les pays qui n’ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid », organisée par Les Archives Bouanani en collaboration avec les archives des arts oraux populaires AWAL et l’ESAV Doc Lab, un ciné-club étudiant dédié au genre documentaire.

Ali Essafi rencontre Ahmed Bouanani (1938-2011) trois ans avant sa mort : Extraits de films, conversations et autres documents dessinent un récit de l’univers artistique de ce poète, cinéaste et essayiste essentiel à la constitution d’une conscience cinématographique marocaine et à la transmission de son histoire. Après la projection du film une discussion a été lancée par les modérateurs de l’ESAV Doc Lab Hamza Azeroual et Basma Rkioui, qui sont revenus sur les travaux de Ali Essafi, sa carrière et ce qui a nourri sa volonté à transmettre l’univers artistique de Ahmed Bouanani et constituer une conscience cinématographique marocaine à travers son film.
Ali n’a pas manqué d’exprimer son inspiration du film de montage “Mémoire 14” (1971) de Ahmed Bouanani, ainsi que de son intérêt éminent pour toutes ses autres productions (ses textes, ses écrits, ses romans…), et sa volonté de raviver à travers ses films une certaine forme de narration qui est la Halqa. “Le conteur de la Halqa a une façon propre à lui, il conte sur un temps qui n’est pas linéaire, mais plutôt fragmenté” disait Ali Essafi, qui trouve que c’est un chantier où il faut encore puiser. À propos du montage du film, Ali Essafi s’est référé à son domaine, la psychologie, pour appréhender la mémoire comme une discipline non linéaire. Ceci l’a incité à travailler à la manière d’un souvenir en passant par beaucoup de liens – pas forcément structurés – à la manière d’un collage. C’est selon lui, un voyage auquel il invite le spectateur à prendre part. Il revient également sur le travail remarquable de Naïma Saoudi dans le film en affirmant mot par mot “Sans elle, ce film n’aurait pas existé”. Elle était, en effet, parmi les personnes qui ont été angoissées par l’idée de la disparition des œuvres de Ahmed Bouanani. Le travail sur le film a commencé avec Hakim Belabbes, et Naïma était présente avec beaucoup de passion et de volonté à faire aboutir ce film, ayant d’abord convaincu Ahmed Bouanani de s’y engager, “C’est elle le pivot de ce film” affirma-t-il.
Ali Essafi a transporté l’audience vers l’univers tournage en racontant que Ahmed Bouanani lui demandait sans cesse ce qu’il allait faire avec les rushs, quand lui-même ne savait pas. Il a, en effet, commencé avec Hakim Belabbes avec l’idée de faire un portrait de Ahmed Bouanani, en constatant au fur et à mesure que tout ce que disait Ahmed Bouanani était écrit et réécrit… Ali a décidé de prendre cette route avec lui sans savoir où elle pourrait l’amener, et aujourd’hui il est heureux d’avoir attendu jusqu’à sortir le film en question. Il a également relaté quelques faits sur le cinéma de l’époque de Ahmed Bouanani, affirmant qu’il y avait une transversalité entre les arts ayant fait naître des collectifs, en ajoutant que cet esprit s’est éteint de nos jours. Il a insisté sur le besoin de travailler avec d’autres personnes qui viennent d’autres disciplines, tout en déplorant l’absence des liens entre les générations (le savoir-faire et la connaissance), étant donné que chaque génération explore ses propres chemins.
Ali Essafi a chaleureusement exprimé une volonté de transmission du patrimoine cinématographique marocain aux jeunes, étant donné que lui-même était perdu au début de ses créations, et a donc d’explorer de nouvelles pistes de narration, en rencontrant d’autres cinéastes, en creusant dans des livres, des articles et des films, comme “Mirage” de Ahmed Bouanani qui l’a tant marqué. “Quand on est seul, c’est terrible comme le dit Ahmed Bouanani, et moi aussi j’étais seul. À l’époque, personne ne s’intéressait à l’archive. Maintenant, il y a pas mal de curiosité chez les jeunes, et tout ce que je fais maintenant c’est pour gagner cette bataille de mémoire.” disait Ali Essafi.
Rédigé par Basma Rkioui


Retrouvez davantage d’éléments autour du film ou de l’oeuvre de Ahmed Bouanani et Ali Essafi au cours de la projection-débat au Cinéma du réel et dans cet article publié dans la revue en ligne du Collège de France : Entre-temps.