Pour saluer Ahmed

Entrant par hasard dans son humble appartement de Rabat en 1974 nous ne nous sommes plus quittés sinon du regard, du moins du cœur.

Il faut, pour l’atteindre, assis sur son divan, enjamber des murailles de livres. Il vit là, protégé, fragile, fort, menacé, sa symphonie de silence et de nuit.

Je sentirais ma vie à moi comme plus floue si je ne savais, existant là-bas, ce frère au visage déchiré d’enfant terriblement doué.

C’est un grand cinéaste, très populaire dans son pays au sens le plus beau de ce mot. À longueur de nuit il écrit de longs romans qui vont être édités. Le poète, lui, nous laisse ces empreintes d’oiseau blessé. Déjà LES PERSIENNES grinçaient tristement au vent de l’histoire. 

Ces PHOTOGRAMMES qu’il nous envoie, dans leur simplicité apparente, je ne parviens pas à savoir de quelle langue il les a traduits. De quel calcul poétique ils relèvent (je veux dire de quel art poétique). Ce déséquilibre profond, c’est sûrement l’écartèlement de Ahmed entre son sang et la langue apprise (il faudrait dire imposée). Lisez ces poèmes. Lentement. En respirant très fort. Et pensez à l’Afrique. Ce que nous en avons fait.

Jean-Paul Cathala (Ecrit en 1989 alors que Ahmed était encore parmi nous)