أرشيف بوعناني

Kalitus – Alia Ardon

01/03/2024 au 30/04/2024 // Archives Bouanani, Rabat

Kalitus – Alia Ardon

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L’Australie est peuplée d’eucalyptus et son parfum embaume les paysages. Ces arbres sont endémiques aux terres australiennes loin de tout, et pourtant, on peut les retrouver partout dans le monde, enracinées de la Palestine à la Californie, de Tunis à Rabat. Pourquoi?

 

Initialement motivée par la curiosité, après avoir remarqué une petite forêt d’eucalyptus en allant rendre visite à ma grand-mère à Témara au Maroc, la question ne m’a pas quittée depuis. En la creusant, je me suis rendue compte que la réponse était bien plus vaste que je ne pensais, et les racines bien plus profondes et correspondaient à celles de l’impérialisme écologique. 

 

De là, les questions défilèrent. Comment sont-ils arrivés au Maroc ? Pourquoi? Comment ont-t-ils été adoptés ou rejetés par la tradition ici? Comment mes racines, par hasard du choix de mes parents en 1998 de déménager à Sydney, tracent-elles un parcours similaire à ces arbres? Se rappellent-ils de leur maison? De leurs terres? Comment s’approprient-ils celles-ci? 

 

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À l’aube du ramadan 2024, sous l’invitation chaleureuse et bienveillante de Touda Bouanani, j’ai eu la chance de me poser parmi les Archives Bouanani en résidence de recherche pour essayer de saisir les réponses à ces questions. 

 

Grâce aux textes mis à ma disposition, depuis l’appartement Bouanani j’ai pu voyager vers le Brésil, le Sénégal et même la Thaïlande, avant de me retrouver où j’étais – dans la ville natale de ma mère. J’ai tenu à l’idée qu’à travers les plantes, ou dans ce cas, l’eucalyptus, nous pouvons éclaircir et peut-être combler certaines lacunes existant dans les archives institutionnelles. Que des perspectives manquantes dans la paperasse de l’histoire pourraient peut-être se retrouver dans le papier de l’écorce, et les feuilles d’eucalyptus. 

 

En commençant d’abord par retracer l’itinéraire de l’arbre, j’ai appris que son voyage n’était pas un voyage, mais une implémentation coloniale. Dans les années 1850, le soi-disant homme d’affaires colonial Ramel s’appropria l’eucalyptus comme son projet; son produit à vendre et à faire pousser pour repeupler les terres déjà décimés par les projets coloniaux.  Vers 1854, grâce à des graines qu’on lui avait envoyées depuis le Jardin Botanique de Melbourne, il déclara que l’eucalyptus peuplerait la Méditerranée. 

 

Aujourd’hui, plusieurs gens au Maroc s’exclament quand ils apprennent que ces arbres ne sont pas marocains, mais de terres semblant tellement lointaines; où les saisons sont à l’envers, et les jours aussi. Cela est signe du fait que l’eucalyptus s’est intégré dans des pratiques médicinales, et parfois spirituelles; mais surtout dans les terres. Sans les autres plantes des écosystèmes Australiens, les racines envahissent, occupent et contrôlent. Elles absorbent l’eau, elles assèchent; et elles représentent de graves problèmes écologiques. 

 

Alors, comment raconter cette histoire? Et pour qui? Sous quel angle? Avec quelles voix? Voilà les questions qui persistent en fin de résidence, et qui motiveront les prochaines étapes du développement de ce film. Le projet de documentaire qui résulte de ces recherches est en phase de conception, mais c’est sûr que les prochaines recherches se feront au-delà des livres, et plutôt à la rencontre des gens et de leur rapport aux plantes. 

 

Alia Ardon

 

Liste d’ouvrages consultés:

 

  • La Pharmacopée marocaine traditionnelle de Jamal Bellakhdar 
  • Perdicaris/Rmilat – Un Patrimoine Naturel d’Exception à Tanger de Temsamani K. Mohammed 
  • Nouvelle Géographie Universelle – L’Afrique Septentrionale Partie 2 
  • Effet de Serres de Farrah Khalil 
  • Le Maghreb à travers ses plantes de Jamal Bellakhdar 
  • Les Plantes Médicinales du Maroc de Abdelhaï Sijelmassi 
  • Plants Aromatiques et Médicinales et Leur Huiles Essentielles de B. Benjilali, M. Ettalibi, M. Ismail-Alaoui et S. Zrira 
  • Resurrecting the Granary of Rome by Diana K. Davis 
  • Tanger et Tétouan – Les débuts de photographie 1870-1900, Somogy édition D’art
  • Tatouages (manuscrit) de Ahmed Bouanani 
  • “La Foret Source d’Énergie,” de Mohammed Ellatifi, paru dans Al Asas, Septembre/Octobre 1981 
  • Les Migrations des Plantes, ed. Marion Grange et Bronwyn Louw, 2024 
  • La Colonisation du Savoir – Une Histoire des plantes médicinales du “Nouveau Monde” (1492-1750) de Samir Boumediene, 2016

 

Digital:  

 

  • “Not a Koala In Sight: promotion and spread of eucalyptus” de Robin Doughty, 1996 
  • “Urban Design and Architecture in the service of colonialism in Morocco” de Assia Lamzah, 2014. 
  • “A Comprehensive Review Uncovering the Challenges and Advancements in the In Vitro Propagation of Eucalyptus Plantations” by Vikas Sharma et al. 2023
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Alia Ardon aimerait remercier les Archives Bouanani, en particulier Touda Bouanani, pour son accueil bienveillant et son accompagnement généreux tout au long de la résidence. 

 

Elle aimerait aussi remercier les amis qui ont rendu ces débuts de recherches tangible (sans ordre particulier); Touda Bouanani, Soumeya Ait Ahmed, Nadir Bouhmouch, Oumaima Abaraghe, Aya El Missi, Amine Houari, Mathilde Gintz, Maelyse Leculier et Asmae Oumahdi. 

 

Biographie:

 

Alia Ardon est une réalisatrice et artiste émergente d’origine franco-marocaine-australienne. Elle nourrit un profond intérêt pour l’histoire, en particulier l’impérialisme écologique et la pluralité des récits historiques que l’on peut accéder par l’écologie. Par ailleurs, elle s’intéresse à la danse, au corps, au regard de l’enfant, et au cinéma, qu’elle considère comme un des moyens privilégiés pour véhiculer les idées complexes souvent inaccessibles des contextes académiques.
 
Parmi ses œuvres notables, on compte sa collaboration en tant que réalisatrice sur le film Border Farce de Safdar Ahmed présenté lors de Documenta 15. En 2024, elle a également été résidente de recherche aux Archives Bouanani à Rabat, où elle a mené le début de sa recherche sur l’histoire de l’eucalyptus au Maroc et son voyage vers la région méditerranéenne depuis ses terres d’origines, maintenant appelée Australie.

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